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Têtes Raides

La presse 2001

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  i(france) - Espace musique (1er janvier 2001)   Les Têtes Raides : "Il ne faut pas perdre l'âme d'enfant qui reste en chacun de nous"
  paunet.free.fr (janvier 2001)   (Interview)
  Télérama, numéro 2667 (21 février 2001)   Les Têtes Raides chamboulent tout ; Le groupe atypique triomphe en tournée
  RFI Musique (mars 2001)   Biographie ; TETES RAIDES
  Le Monde (20 avril 2001)   Premières audaces au Printemps de Bourges avec les mélodies en trompe-l'oeil des Têtes Raides
  Longueur d'Ondes (2001)   LES TETES RAIDES ; "CHRISTIAN DETEXTE OLIVIER"

i(france) - Espace musique (1er janvier 2001)

Les Têtes Raides : "Il ne faut pas perdre l'âme d'enfant qui reste en chacun de nous"

Dans un monde de chansonnier qui tombe en ruines, les Têtes Raides, routards de la scène alternative française, réitèrent leur subtil mélange de comptines et d'engagement, en sortant un nouvel album "Gratte-Poil". Rencontre, dans un petit bistrot parisien, avec Grégoire, l'un des membres fondateurs.

- Quelle est l'idée qui sous-tend la formation du groupe ?
La naissance du groupe musical correspond aussi à la naissance d'un groupe graphique. En 1984, on a créé d'un côté les Chats Pelés, et de l'autre les Têtes Raides. Je pense que dans le projet initial, il y avait cette volonté de faire côtoyer des univers proches mais pas similaires.

- Le groupe a évolué musicalement, surtout avec le dernier album. Est-ce que vous pensez que votre public a changé ?
Nous, en tout cas, on n'a pas changé. Je pense que, quand tu passes de 15 à 20 ans et de 25 à 30 ans, tu dis les mêmes choses mais différemment. C'est plutôt l'évidence qui nous fait changer, car il faut rester perméable à l'environnement et à la vie. Et notre public a grandit dans tous les sens du termes, il s'élargit, il se rajeunit et vieillit également. Il évolue, quoi...

- Quelle est votre conception de la scène ?
Les gens sont debout ou assis, et tout le monde fait la fête. On va dire que cela nous amuse de rassembler plein de monde dans une même salle pour passer une bonne soirée.

- On vous voit peu dans les médias...
C'est pas notre soucis majeur. On n'est pas demandeur, mais on essaie toujours de répondre lorsqu'on nous sollicite.

- Vos chansons ressemblent à des comptines, vos illustrations passent pour des dessins enfantins et vous publiez des livres pour enfants. Pourquoi cette envie ?
On est tous des enfants. L'enfance c'est la spontanéité, la fraîcheur, l'authenticité et l'objectivité. Ce sont les valeurs que la vie cherche à nous faire perdre en grandissant. Alors, c'est vrai qu'on fait les choses avec une certaine nostalgie et que l'on est assez attiré par le monde des enfants. Je pense que l'on sera obligé de faire un disque pour les mômes, c'est incontournable pour nous. Il ne faut pas perdre cette âme d'enfant qui reste en chacun de nous.

- Est-ce que vous n'avez pas l'impression que votre message risque d'être travesti sous les fantaisies et que les gens prennent les chansons au premier degré, comme des chansons uniquement drôles et enfantines ?
C'est un risque que l'on prend régulièrement. Mais on aime bien jouer avec le fond et la forme. Il faut faire la part des choses, il y a des gens qui vont s'attarder sur le texte et d'autres sur la musique. Je crois que c'est un tout et que la part de chaque élément est variable.

- Vos projets ?
Une tournée qui débute à partir du 25 janvier. On va essayer d'adapter notre album à la scène. Ce qui nous intéresse, c'est déjà de réussir à passer du stade de l'enregistrement à celui de la scène, qui est un autre aboutissement. Réussir ça, c'est déjà balaise.

- Les Têtes Raides en MP 3, ça vous "gratte" ?
Le piratage a toujours existé, même avant Internet, les cassettes ont fait peur à plein de maisons de disques, je ne crois pas que cela ait eu une incidence sur les ventes. Il y a beaucoup de peur pour pas grand chose. Maintenant, ce qui m'inquiète, c'est la manière dont les maisons de disques et les entreprises de communication tentent en général de verrouiller ce système qui leur échappe. La circulation des morceaux est bénéfique pour la musique et pour les gens.

Têtes Raides - "Gratte Poil", Tôt ou Tard/WEA
En tournée à partir du 25 janvier 2001, à Paris en mars du 9 au 11 mars à la Cigale, du 13 au 16 mars au Bataclan, et le 17 mars au Palais des Sports.

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paunet.free.fr (janvier 2001)

(Interview)

Prenez un soupçon de Yann Tiersen, une larme de Noir Désir, un souffle de Jean Corti, une bouffée de rythmes claudicants, une pincée de cordes et une bonne dose de poil à gratter. Ajoutez-y une once de magie et de savoir-faire. Mixez le tout vigoureusement et versez lentement dans les oreilles. Vous obtenez Gratte poil, le nouveau morceau de bravoure des Têtes Raides. Décalés, poétiques et poilants, les Têtes sont fidèles à leur univers mais savent aussi surprendre et étonner. Rencontre avec Christian Olivier, la tête chantante des Têtes Raides.

Paunet : Gratte Poil, 7ème album studio (en plus d'un live et d'une compilation). Est-ce que tu peux nous le présenter ?

Christian Olivier : Cet album est né d'une envie. Nous voulions changer notre manière de travailler en studio. Nous avions envie de rejouer tous ensemble, de reprendre du plaisir. Sinon, c'est fastidieux. Nous avions envie de plus de spontanéité. Le studio est un moment éprouvant où l'on se met en danger, et là, nous avions envie de reprendre du plaisir à jouer ensemble.

Paunet : Depuis "Chamboultou" en 1998, on a l'impression que Têtes Raides fait des chansons plus joyeuses. Vous en aviez assez d'être triste ?

Christian Olivier : (rires) Oui, c'est un peu ça ! Mais je dirais que c'est plus visible qu'avant. On nous collait une image très sombre, pas forcément injustifiée, mais nous sommes gais et joyeux. En quatorze ans, on évolue. La vie change. Notre manière de la voir, aussi. Et puis on s'est dit que, du point de vue marketing, c'était mieux d'être heureux (sourires).

Paunet : La chanson, "je chante", qui ouvre l'album, représente quoi pour toi ? Chanter, c'est nécessaire ?

Christian : Oui, c'est vital même. C'est ce qui permet à me poumons de se décrasser de toutes les cigarettes que je fume ! C'est comme le sport, si j'arrête, je ne me sens pas bien...

Paunet : Est-ce que la musique tient une place importante dans vos vies à tous ? Est-ce que vous en écoutez beaucoup ?

Christian Olivier : Oui, bien sûr. Nous écoutons tous pas mal de choses différentes : classiques, jazz etc. Mais ce n'est pas forcément une influence. En fait, tout m'influence : avoir une conversation, marcher dans la rue, observer les gens ou faire une interview...

Paunet : Comment est né "l'Iditenté" avec Noir désir ? Est-ce que tu t'es dit, "tiens, je vais écrire un truc pour le jouer avec Noir Désir" ?

Christian Olivier : Oui, bien sûr ! Je me suis dit que, stratégiquement, ce serait très intéressant...

Paunet : ...

Christian : Tu sais, les choses ne se passent pas toujours comme on croit. Il y a l'écriture, et puis il y a l'échange. Noir Désir est un groupe que l'on aime beaucoup. Nous les avons donc contactés et leur avons proposé cette chose-là. C'est un échange entre deux musiques et entre deux groupes. Ca reste assez simple comme rapport. On s'est apporté des choses mutuellement. C'est ça le plus important. Du coup, ce titre sonne plus rock que le reste de nos morceaux. Nous avions envie cette énergie là aussi.

Paunet : Le texte de "l'Iditenté" est assez engagé. C'est une nouveauté ça aussi ?

Christian Olivier : ça rejoint le début de notre conversation : c'est seulement plus visible maintenant. Je pense qu'il y a des morceaux du premier album qui traitent de choses aussi graves que cette chanson-là. Mais ici, c'est plus direct. Je pense qu'il y a aussi plein d'autres choses que le thème des sans papiers dans cette chanson. Il y a d'autres choses derrière... Et c'est tout ça qui m'intéresse aussi.

Paunet : L'engagement d'un artiste, c'est important pour toi ?

Christian Olivier : C'est un gros sujet...

Paunet : Jean-Louis Murat expliquait qu'il ne voulait plus toucher à des sujets liés à l'actualité car, selon lui, c'est trop "casse-gueule".

Christian : Une chanson c'est politique. Quelle qu'elle soit. Ecrire, c'est un acte politique. Ce que tu me dis à propos de Murat... Peut-être qu'il s'est senti un peu trop en danger... Pour moi, ce n'est pas plus compliqué de parler de ça que d'autre chose. La politique, c'est partout.

Paunet : Comment te mets-tu à écrire ?

Christian : (silence). Ce n'est pas facile de parler de ces choses-là. Il y a une part d'imaginaire, une part de rêve, une part de réalité etc... Au final on arrive avec un univers. Un disque, c'est quarante minutes de musique. Avec les Têtes Raides, on aime bien se promener dans un disque, que ça se ballade. "Chapeau", pour moi, c'est plus un conte qu'autre chose. Une chanson peut être traitée de mille manières. Il y a plusieurs degrés dans les chansons. Il y a des choses évidentes et d'autres qu'il faut aller chercher. Nous n'aimons pas donner des choses toutes faites, on aime bien que les gens fassent aussi un pas vers nous, vers notre univers. Ensuite, les interprétations sont multiples. Il n'y a pas une interprétation des chansons des Têtes Raides.

Paunet : Vous revisitez souvent vos morceaux sur scène ?

Christian Olivier : Oui, c'est toujours drôle à faire parce qu'on se retrouve un peu perdu des fois. Remettre les chansons au goût du jour, ce n'est pas toujours faisable. Mais par contre c'est toujours un exercice intéressant.

Paunet : C'est une manière de se mettre en danger ?

Christian : Oui, un peu. Mais c'est surtout un plaisir. Et c'est important de savoir que ce que l'on a écrit il y a dix ans est toujours valable aujourd'hui.

Paunet : Un album des Têtes Raides, c'est aussi un graphisme, une patte. Je voudrais que tu nous parle de cette bande de dessinateurs-peintres-graphistes que sont les Chats Pelés.

Christian Olivier : Les Chats Pelés sont un groupe, formé en même temps que les Têtes Raides, c'est-à-dire aux environs de 1984. Leurs histoires sont liées, il y a toujours eu un échange entre ces deux groupes. Nous ne nous sommes rien imposés mais, comme je fais partie des deux groupes, je pouvais me permettre de suivre cette histoire là. Ca s'est fait comme ça : l'image des Têtes Raides, c'est celle des Chats Pelés. C'est une belle aventure. Mais avec les Chats Pelés, on ne bosse pas que sur les Têtes Raides. Nous travaillons aussi sur des livres pour enfants, sur des affiches, sur de la déco, sur tout un tas de choses... Ces deux activités sont complémentaires. C'est un peu compliqué au niveau de l'emploi du temps. Les personnes qui sont dans les Chats Pelés ont également d'autres activités, ça nous permet de prendre certaines libertés dans notre travail. C'est une liberté qui coûte cher mais qui est très agréable.

Paunet : Tu es auteur, chanteur et graphiste des Têtes Raides, mais la musique ?

Christian : En général, il y a une mélodie avec le texte. Après, l'univers musical, les ambiances, le choix des instruments, tout cela appartient au groupe, aux Têtes Raides. Chacun amène ses idées et défend ses convictions. Les Têtes Raides sont un groupe et c'est important. Les chansons évoluent. Des fois on garde plusieurs versions du même morceau, et le choix se fait parfois dans la douleur.

Paunet : Et au final, ça se passe comment, au vote ?

Christian : Au match de boxe plutôt !

Paunet : Beaucoup d'artistes de chansons ont commencé ou ont eu une période punk ou noise, comme Yann Tiersen, Franck Monnet ou Thomas Fersen. Et vous aussi à ce que j'ai entendu...

Christian : Il paraît. Mais, à l'époque quand les gens voyaient les Têtes Raides, ils pensaient à tout sauf à du punk ! En tout cas, on braillait un peu, on avait quelques guitares électriques...

Paunet : C'était quoi ? Quelque chose de plus rock ?

Christian : Oui, mais ça reste de la chanson pour moi. Pour parler de tous ces gens-là et de nous, je crois que c'est plus un état d'esprit. Le résultat reste de la chanson. Je ne sais pas ce que faisait Thomas Fersen avant, mais à mon avis c'était déjà de la chanson, il y avait du texte et de la musique. Que ce soit après un peu plus ci ou ça... Je crois que c'est avant tout un état d'esprit et une énergie. Tu sais quand tu vois Brassens qui est en train de chanter une chanson qui ne bouge pas et qu'il est en train de transpirer comme une vache qui... ça a un côté rock aussi.

Paunet : Est ce que tu peux nous parler du site www.tetes-raides.tm.fr ?

Christian : Il est prévu de le sortir le même jour que l'album, le 24 octobre 2000. Et au début, il n'y aura pas grand' chose dessus. Le site s'étoffera petit à petit. D'une manière générale dans le groupe, nous ne sommes pas de grands surfers. On commence à s'y mettre tranquillement. Et nous allons essayer de nous servir de cet outil comme on se sert d'autres outils et essayer de s'amuser avec. Le côté info sera assuré par le site de Tôt ou Tard (www.tot-ou-tard.com) et nous allons, pour notre part, essayer d'expérimenter deux ou trois choses !

Paunet : Il paraît que vous aller jouer sur le prochain album de Yann Tiersen ?

Christian Olivier : Oui, ce n'est pas fini mais nous avons déjà démarré l'histoire. Nous en sommes assez content. En fait, on y va pour y mettre un peu le bordel ! Yann est quelqu'un avec qui nous avons eu l'occasion de travailler à la fois en studio et sur scène. C'est un mec avec qui nous nous entendons très bien. Et voilà. Une rencontre, c'est toujours très simple. Quand nous bossons ensemble, nous n'avons pas besoin de parler pendant des heures pour travailler. Nous avons fait cela avec beaucoup de plaisir.

Paunet : Vous allez commencer la tournée Gratte Poil en janvier 2001. C'est la première fois que vous n'attaquez pas directement après la sortie de l'album. Besoin de souffler un peu ?

Christian : Oui, et ça fait du bien. Nous sommes dans les algues en ce moment. Une thalassothérapie. Dans la flotte toute la journée.

Paunet : Et ça fait vraiment du bien ?

Christian : Tu ne manges pas beaucoup etc., mais ça va. L'année sera chargée, il faut se préparer. Une tournée, c'est toujours épuisant. Même si, heureusement, on ne se dit pas ça quand on part ! La tournée, c'est la découverte de plein de choses, la route, les nouveaux morceaux que tu vas jouer, les rencontres. C'est toujours quelque chose de super. Et puis notre musique est faîte pour être jouée... Un concert, deux heures dans une journée, c'est un moment de magie.

Propos recueillis par Eric Nahon

Les Têtes Raides en concert dans toute la France ou presque, c'est à partir de janvier 2001 jusqu'à dieu sait quand. La caravane des Têtes Raides fera escale à Paris en donnant trois séries de concerts "Assis", "Debout" et "KO debout". On comprend mieux la thalasso. Les Têtes Raides seront en forme. Vous tiendrez le choc ?

Toutes les infos sur les concerts du label Tôt ou Tard sur le site www.tot-ou-tard.com (Thomas Fersen, Têtes Raides, Joseph Racaille et toute la clique...).

Le site qui ne demande qu'à grandir : www.tetes-raides.tm.fr

e-mail : tetes-raides@wanadoo.fr

Crédits photos : Les Chats pelés - Jérôme Brézillon

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Télérama, numéro 2667 (21 février 2001)

Les Têtes Raides chamboulent tout
Le groupe atypique triomphe en tournée

Epoque punk, ils reprennent Brel. Temps technos, ils virent acoustique. Ces bidouilleurs de sons à l'énergie incendiaire et à la fibre théâtrale n'en font toujours qu'à leur tête. Et leur intransigeance captive un public toujours plus nombreux.

Ils sont des centaines, des milliers aux concerts des Têtes Raides. Des centaines, des milliers à reprendre en choeur Ginette : "... C'est des musiciens sur des tréteaux tôt ou tard ça va s'écrouler mais leur histoire on s'en fout Ginette continue à tourner sur cet air de ferrailles et de verres cassés allez Ginette la mer ça ne s'invente pas et nous on crève à rester là et c'est tout".
Et tout est là. Toute une histoire que racontent ce groupe et le public depuis des années dans les salles. Tout un collège musical, cordes, cuivres, peaux et soufflets qui calcinent coeurs et corps. Tout un collage poétique, image abrasives et colères crépitantes, "charpie de frissons", puissants mystères ; toute une langue véhémente, de celles qui inventent la mer. Et puis Ginette, un amour qui valse mais pas seulement, c'est le nom d'une lampe aussi, une copie de lampe d'usine qui sur cette chanson se balance à tout-va au-dessus de la scène, et le public l'acclame, lampe d'usine devenue lampe-tempête, personnage parmi les personnages de cette histoire étrange, de cette troupe étrange qui a pour nom Têtes Raides.
Ginette, la chanson, figure sur Not dead but bien raides, un album autoproduit longtemps introuvable - récemment réédité. A sa sortie en 1989, il s'en est vendu une poignée. Mais Ginette depuis est de tous les concerts, et c'est là que le public l'a rencontrée. Le tube des Têtes Raides n'a pas été seriné par la radio, il a été élu dans les salles. L'histoire de ce groupe et de ce public est une histoire de transmission orale.
D'autres groupes ont bâti "live" leur renommée, Zebda, Louise Attaque, Tryo, Sinsemilia, Matmatah, d'autres dont les disques se sont bien vendus, attirant du coup l'attention des radios et des télés. Les Têtes Raides, si elles commencent à laisser derrière elles les années faméliques, si leurs albums s'écoulent à des dizaines de milliers d'exemplaires, ne font guère partie du paysage médiatique audiovisuel. C'est juste un phénomène du paysage musical français. Un groupe reconnu et respecté pour son esthétique, son éthique, sa probité - comme Noir Désir, qui a participé à un titre, L'iditenté, sur son dernier album (1).
Ce titre-là passe sur quelques radios, notamment rock. Grâce à Noir Désir, connu, reconnu, identifié rock. Tandis que les Têtes, qu'est-ce donc ? Un groupe de sept musiciens dont deux musiciennes, entre 30 et 40 ans, bon. Mais un groupe punk, rock, alternatif, néoréaliste, trash-guinguette ? A ses débuts en 1984, et même avant, quand il s'appelait Red Ted, son répertoire mêlait des reprises de Chuck Berry, des Stones, de Clash. Ca faisait marrer les purs et durs du rock et du punk de l'époque : la technique musicale des Red/Raides était plutôt sommaire - l'énergie, déjà incendiaire. Mais ces petits nouveaux ajoutaient Brel à leur abécédaire (dé)concertant, et ça, ça ne faisait pas rire tout le monde. La chanson, dans le milieu punk-rock d'alors - et ça a duré longtemps - était vue comme une putain ou une pétasse, autant dire pas bien vue, pour tout dire copieusement méprisée. Christian Olivier, chanteur, auteur, compositeur des Têtes : "Au milieu des années 80, nous sommes passés au Jimmy, à Bordeaux, rendez-vous alors des groupes alternatifs. Et ça s'est mal passé. Nous avons posé nos instruments pour aller nous expliquer dans la salle. Ca nous est arrivé plusieurs fois : certains étaient surpris, pas dans le bon sens du terme. D'autres, en revanche, ont immédiatement accroché à Ginette. Alors que ce morceau a un rythme à trois temps, pas franchement d'actualité...".
Déjà les Têtes n'en faisaient qu'à leur tête. Déjà, quand ils ne passaient encore qu'à la terrasse des cafés - après, ils ont passé pas mal d'années à jouer dedans -, ils avaient un décor de fond de scène, peint par les Chats Pelés. Les Chats Pelés, c'est un collectif d'anciens de l'école Estienne (établissement d'enseignement supérieur des arts et industries graphiques) : Christian Olivier, Benoît Morel, le chanteur de la Tordue, et Lionel Le Néouanic. Ensemble ils composent livres, pochettes, affiches, courts métrages peuplés d'humains, d'animaux, de chimères de bric, de brut, de broc. Fusain, pigments chauds et sculptures de terre cuite s'y empoignent joyeusement avec des matériaux de récupération, bois flotté urbain, chutes de jute et bouts de ficelle, ferraille rouillée, journaux froissés, bouquins jaunis. Dans la vie de Christian, graphisme et musique vont de pair depuis longtemps - matières mêmement modelables. Dans la vie des Têtes Raides aussi. Budget de leur premier album, Not dead but bien raides (100 000 francs, prêtés par un studio d'enregistrement, Studio +, et des particuliers, dont Agnès b.) : 40 000 francs pour le son, 60 000 francs pour le graphisme. Tête de certains musiciens...
Après le décor de fond de scène sans scène, changement de décor avec scène, celle du Sentier des Halles, à Paris. En novembre 1988, les Têtes y jouent derrière un mur de cartons démontable. Le public est convié à haler des cordages de bateaux et à regarder des petits films d'animation signés des Chats Pelés. Des fois, la pellicule fond. Expérimentation fauchée mais ludique d'un concept multimédia avant l'heure. Dans la salle, Francis Kertékian, aujourd'hui manager du groupe, alors patron du label discographique indépendant Just'in. Il prend en distribution Not dead... Première apparition du groupe dans les bacs des disquaires, puis au printemps de Bourges 1989, catégories Découvertes. "On jouait l'album du début à la fin, pratiquement sans s'arrêter. Même quand il y a eu une coupure de courant au milieu du concert, alors qu'on avait une basse et une guitare électriques... Et on s'est incrustés au "village" pour vendre le disque. Certains nous ont dit l'avoir acheté rien que pour qu'on leur fiche la paix...".
Les années galère sont rigolotes à raconter, moins à passer. Les Têtes, composées alors de Christian, son frère Pascal dit Cali, Grégoire Simon dit Iso, et Marco le batteur (les autres sont multi-instrumentistes) vivront encore longtemps de petits boulots. Christian sera notamment éboueur, métier de nuit qui laisse la journée à la musique, et permet de collecter des matériaux pour les travaux des Chats Pelés. "Bon souvenir", commente-t-il. "Ce n'étaient pas des galères, c'étaient des expériences, résume Grégoire. On a toujours eu la flamme. Et le fait que le public y croit aussi donne la force de continuer".
Ca tombe bien, il en faut. Kertékian signe les Têtes : quinze jours après, son label fait faillite. Le groupe est déjà en studio, "celui de Pathé-Marconi, avec les micros de Piaf, des Stones. Ca nous changeait du garage de Grégoire". L'album Mange tes morts sort en 1990 chez Fnac Music, sans grand succès. A la batterie, Jean-Luc Millot, dit Lulu, a remplacé Marco. Le groupe retourne en tournée - débuts de Ginette la lampe, jeux d'ombre, musiciens masqués. Il met un autre album en chantier, Les oiseaux. Enrôle deux nouveaux, Serge Bégout à la guitare et Anne-Gaëlle Bisquay au violoncelle. "L'acoustique... On entend les instruments, tout à coup. Des finesses arrivent, des couleurs. Et une fille dans le groupe, c'est une autre approche : on était un peu "croquenots" jusque-là. Edith, la soeur de Serge, a succédé à Scott au piano au moment de Chamboultou. Deux filles, donc. Et pas les dernières à participer aux troisièmes mi-temps !".
A l'automne 1991, à nouveau sans maison de disques, les Têtes têtues louent à Paris le Théâtre des Déchargeurs, s'y remettent en scène - un comédien place public et musiciens, engueule ces derniers. Parmi les spectateurs, clairsemés d'abord, en rangs serrés ensuite, deux petits jeunes de chez Warner, dont Vincent Frèrebeau, aujourd'hui responsable du label tôt Ou tard : "Je les ai vus, j'ai écouté les bandes des Oiseaux, j'ai aimé, mais je n'ai pas compris. Je les ai signés sans mesurer l'importance qu'ils auraient dans ma vie professionnelle, et personnelle. Le travail du label est calqué sur le leur : contact direct, artisanat, opiniâtreté. Avec Thomas Fersen, c'est une des rencontres essentielles que j'ai faites, un moteur de vie".
Les Oiseaux en 1992, Fleur de yeux un an plus tard ne démentent pas la densité de l'univers des Têtes Raides, de plus en plus acoustique. Le Bout du toit, en 1996, est l'étape la plus aboutie de ce chemin escarpé : dans les concerts qui suivent l'album, pas un instrument électrique. Ce n'est qu'un au revoir. La radicalité des Têtes Raides ne consiste pas à fermer définitivement des portes, mais, plus que jamais, à ne pas enfoncer les portes ouvertes. Alors que le temps de l'opprobre de la chanson est à peu près terminé, que nombre de groupes marient rock et guinguette, reggae et java, les Têtes proposent des unions plus audacieuses, des partitions autrement acrobatiques. La tournée actuelle le prouve à nouveau. "Chaque soir, disent Christian et Grégoire, on a la sensation de redécouvrir la musique", le public aussi. "Un groupe, ajoute Grégoire, c'est la réunion de fortes personnalités qui se mettent d'accord sur une belle utopie : s'émanciper du passé familial et culturel de chacun pour expérimenter une autre transmission culturelle, un autre partage de musique et de vie". Avec ce groupe-là, l'utopie, on la vit. Parce qu'y vivent ensemble flûte et hélicon, fanfare et violoncelle, cymbales et silence, blues et bastringue, "javalse"... Subtils collages, fécondes ruptures rythmiques qui vous abordent en familiers pour vous entraîner bien plus loin, étonnés, émus, séduits. Et on les suit. Comme dit Saint-Vincent, une des plus belles balises de ce chemin de contre-bande : "La chanson va...".

"La musique a tendance à tout enchaîner, vite. Nous, à présent, on s'interrompt, on laisse du vertige".

La chanson des Têtes Raides va croiser le succès avec l'album studio suivant, Chamboultou, en 1988. Superbe aussi, mais pourquoi celui-là ? Vincent Frèrebeau : "C'était leur heure, sans doute. Mais ce sont eux qui ont construit la pendule. Et à un prix que peu d'artistes acceptent de payer". "Chez eux, l'exigence artistique prime tout", dit Olivier Poubelle, dont la société, Astérios, organise les tournées du groupe. "Chacun touche 1 200 francs par soir. Certes, ils sont nombreux, mais c'est quand même peu. Ils ont gagné encore moins sur leur spectacle Non, il y a deux ans, qu'il n'ont joué que dans de petites salles. Mais ils y tenaient, pour se retrouver après avoir tourné dans de grands espaces, pour roder de nouveaux morceaux. On peut parler d'argent avec eux, ils connaissent les problèmes et ne me balancent pas à la figure une image stéréotypée du métier de producteur. On a un désir commun : limiter le prix des places, rarement plus de 130 francs, pour rester accessibles à tous. Leur succès d'aujourd'hui, ils ne le doivent pas au compromis, mais à l'intransigeance".
Les mêmes mots reviennent pour parler d'eux, intransigeance, exigence, ambition artistique, fidélité de travail. Fidélité du public, aussi. Ceux des débuts sont toujours là, d'autres sont venus, sont restés, à chaque série de concerts plus nombreux ; et, c'est nouveau, surgit un jeune public qui a découvert le groupe avec ses derniers albums, Chamboultou et Gratte poil. Et qui découvre aussi, outre un humour plus présent depuis ces deux albums, - les Raides se détendent, les austères se font espiègles -, la dimension théâtrale des Têtes, décidément pas un groupe, une troupe. Christian Olivier a aimé le théâtre en suivant le travail de Chéreau et de Brook. "L'écriture, déjà, est un engagement violent, dit-il. Le chant, la musique, c'est l'engagement du corps. Au théâtre, le corps raconte. Avec des dires et du vide. La musique a tendance à enchaîner, vite. Nous, maintenant, on s'interrompt, on laisse du vertige. Fantôme, l'éclairagiste, vient du théâtre, et il nous fait des éclairages de théâtre, pas de concerts rock. On est tous dans cet état d'esprit, cette mise en danger qui rompt avec le danger de la routine". Et de l'assemblage d'ego, dont témoignent d'ordinaire sur la scène musicale les inévitables solos, souvent fastidieux pour le spectateur, même si le musicien est aussi bon qu'il le croit. Chez les Têtes Raides, "on est 1 + 1 + 1 + 1... qui font 1, dit Grégoire. Chacun est acteur, chacun a sa place. Quand Christian écrit "je", c'est le "je" de chacun de nous. Ca engage chacun de nous". "C'est des musiciens sur les tréteaux...".

Anne-Marie Paquotte

(1) Invités également sur l'album Gratte poil (ffff, voir Télérama numéro 2652), Yann Tiersen et l'accordéoniste Jean Corti dont les Têtes Raides viennent de produire le premier album, Couka (distr. : L'Autre Distribution).

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RFI Musique (mars 2001)

Biographie ; TETES RAIDES

Heureuse synthèse entre le rock alternatif et le bal musette, les Têtes Raides se sont avant tout fait remarquer pour leurs textes et l'incroyable voix de leur chanteur, Christian Olivier. Plus qu'un groupe, ils revendiquent une activité artistique qui dépasse souvent le cadre musical. Des arts graphiques à l'écriture, en passant par le cirque et le théâtre sur scène, les Têtes Raides sont à maints et (justes) titres considérées comme la tête de file d'un courant néo-réaliste qui depuis les années 80, vitamine sérieusement les neurones de la chanson française.

Aux origines, il y a un collectif de graphistes, peintres et dessinateurs, au doux nom déjà annonciateur d'une indéniable poésie : les Chats Pelés. Ils sont trois amis, Lionel, Benoît Morel (futur membre de la Tordue) et Christian Olivier. Ce dernier-né en 1964, fut élevé en Afrique par des parents coopérants. A cette même époque, ancré dans la banlieue sud de Paris, Christian monte un groupe avec deux autres musiciens, Cali à la basse et Grégoire Simon au saxophone. Christian est pour sa part doté d'une voix puissante et peu courante, qui évoque les grandes voix réalistes des années 30. Pourtant, ils choisissent comme nom les Tet Red (ndh : Red Ted, vous aurez encore rectifié par vous-même, n'est-ce pas ?), vague anglicisme qui annonce les origines d'une grande partie de leur répertoire d'alors. Ils reprennent les Rolling Stones, les Clash ou Chuck Berry avec de temps en temps, un petit détour par Johnny, star hexagonale s'il en est. Leurs prestations sont déjà originales, jouant sur des éclairages qui mettent en valeur les masques blancs qui recouvrent leurs visages.

Ecriture

Comme d'innombrables groupes du même style, ils tournent dans les bistrots, les fêtes de quartier et la rue. Très vite, le cruel manque de textes se fait sentir, et Christian se lance dans l'écriture sans plus attendre. Il n'en sortira pas. Son goût pour les mots ne fait que s'intensifier et son talent de poète se révèle brillamment. De plus, il laisse un peu de côté la guitare électrique pour l'accordéon.

En 1987, le groupe subit quelques mutations à commencer par son nom qui reprend son orthographe française pour devenir les Têtes Raides. Le nombre des membres s'accroît. Un 45 tours auto-produit paraît en 88. Mais c'est leur premier 33 tours (en fait un 25 cm) qui fait parler d'eux en avril 89. Emballé dans une pochette en carton gaufré, le disque "Not dead but bien raides", donne le la ce qui fait les Têtes Raides : une poésie violemment énergique, une certaine anarchie musicale, des musiciens tous multi-instrumentistes et un réalisme, qui sous des dehors sombres comme le voudrait la tradition du genre, se veut plutôt un hymne à la vie.

Electricité

Déjà connu de certains médias, le groupe ne tarde pas à se faire remarquer par un public plus large et par des critiques en mal de nouveautés intéressantes. Les tournées ne cessent guère, et leur première salle parisienne est le Sentier des Halles, antre d'une chanson française riche et innovatrice. Au festival du Printemps de Bourges, ils n'hésitent pas à continuer le concert en dépit d'une panne de courant générale. Electricité ou non, leurs prestations ne s'arrêtent pas à ça.

Lorsqu'ils sortent leur second album fin 1990, "Mange tes morts", ils sont six. Au trio d'origine, Christian, Grégoire et Cali, se sont ajoutés Jean-Luc Millot dit Lulu à la batterie, Serge Bégout à la guitare et Anne-Gaël Bisquay au violoncelle. L'arrivée de cette dernière se fait sensiblement sentir sur l'album d'autant plus qu'elle apporte une voix féminine qui accompagne des orchestrations de plus en plus acoustiques. La pochette est signée des Chats Pelés. Elles le seront toutes d'ailleurs. Privilégiant toujours les petites salles, les Têtes Raides passent trois semaines aux Déchargeurs à Paris durant l'hiver 91-92.

Acoustique

Leur rythme d'enregistrement est désormais lancé pour produire un album très régulièrement. En 1992, sort un troisième opus, "les Oiseaux". Cette fois, le groupe s'est à peu près complètement débranché et reprend la route des bistrots et des petits lieux. Cet album est considéré comme l'album de la maturité, mais les Têtes Raides n'ont pourtant pas fini de se transformer et d'évoluer toujours vers de nouvelles routes.

Le 11 juin, ils montent sur la scène du théâtre Dejazet à Paris, ancien port d'attache d'un géant de la chanson française, Léo Ferré. Sur scène, ils créent un univers délirant. Les lumières sont souvent très travaillées et il n'est pas rare de voir apparaître un trapéziste ou des comédiens. On les retrouve le 3 décembre au Bataclan.

Le 15 octobre 93, c'est enrichi d'un septième membre, Scott Taylor (cuivres, piano), que les Têtes Raides sortent "Fleur de yeux". L'arrivée de Scott marque également l'arrivée d'un son plus fanfare qui énergise un peu plus - qui égaye aussi - une poésie déchirée. Sur l'album et sur scène, leurs textes reluquent un peu du côté de Michaud, Cocteau ou Fernando Pessoa, poète portugais qu'ils chantent en anglais.

Classé parmi les meilleurs albums de l'année par plusieurs journaux, "Fleur de yeux" mène les Têtes Raides dans des salles parisiennes plus grandes : en mai au Théâtre de Trévise et le 6 décembre au Casino de Paris. En juin 94, retour parisien par le théâtre de l'Européen. A chacun de leur concert, à Paris ou ailleurs, le public est plus que jamais au rendez-vous. Leurs musiques, textes et prestations scéniques séduisent un peu plus à chaque album par leur spontanéité et leur puissance poétique. Les Têtes Raides revendiquent de changer de style au rythme de leurs envies.

C'est une avalanche d'enthousiasme qui accompagne la parution de leur nouvel album en février 1996, "le Bout du toit". Sur le titre "Hermaphrodite", les Têtes Raides accueillent Jean Corti, accordéoniste de Jacques Brel. Le nom de Brel avait été souvent évoqué à propos de l'émotion contenue dans la voix de Christian Olivier. La boucle est bouclée.

Scène

Du 14 mars au 20 avril, le groupe part en tournée avant un passage dans la plus prestigieuse salle parisienne, l'Olympia, le 21 mai. Jean Corti y assure la première partie.

On les retrouve tous le 7 décembre au Trianon. A cette occasion, les Têtes Raides enregistrent enfin leur premier album live qui sort en 1997, "Viens". Toute la force et l'anarchie réjouissante de leur présence sur scène est très vivante dans cet album. L'importance de la voix et du mot y transparaît également.

Aussi important qu'il soit, ce live est une parenthèse (ou un lien) entre deux albums dont la proximité dénonce la richesse et l'urgence de leur inspiration. En avril 98, paraît "Chamboultou". Après 14 ans d'existence, et autant d'albums que de membres, les Têtes Raides s'offrent un CD au son plus sophistiqué et mixé par Dominique Blanc-Francard, maître en la matière. En outre, les textes se veulent un peu plus engagés et politiques. Pour cet album, Scott Taylor a laissé sa place à Edith Bégout, et Anne-Gaël réapparaît après une absence prolongée. Quant à Cali, il est remplacé à la basse par Pascal Olivier.

Avant les festivals d'été, ils entreprennent la rituelle tournée du 10 avril au 23 mai, avec une halte parisienne à l'Olympia du 4 au 6 mai. Nouvelle tournée début 99 avec un arrêt prolongé au Lavoir Moderne, une jolie salle parisienne grande comme un vieux grenier aux poutres de bois et aux pierres apparentes. Intitulé "Non", ce spectacle très soigné intègre films d'animation projetés sur les murs et poésie lues par chacun des membres.

Gratte Poil

En 2000, dix ans après leur début et leur premier album autoproduit, les Têtes Raides résument leur parcours sur une excellente compilation de 17 titres, "Dix ans de Têtes Raides". La même année, en novembre, sort "Gratte-Poil", dix-neuf plages ponctuées d'un mini-titre leitmotiv, 'Bibliothèque'. Parfois éclairé d'une innocente gaieté, nouvelle dans leur démarche, le disque ne déçoit pas, toujours à la hauteur de ses créateurs, dont le talent semble définitif.

En janvier 2001, le groupe démarre le nouveau siècle par une tournée provinciale qui les mène à Paris pour neuf dates réparties sur trois salles, la Cigale, le Bataclan et le Palais des Sports, adresse inattendue par sa taille (5000 places), loin des espaces réduits et intimes qu'affectionnent les sept musiciens.

Electrons libres dans le paysage musical français, les Têtes Raides font preuve d'une créativité artistique peu courante. Plus encore que néoréaliste, ils s'inscrivent dans un courant surréaliste où la liberté de ton et d'inspiration ne laisse pas indifférent.

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Le Monde (20 avril 2001)

Premières audaces au Printemps de Bourges avec les mélodies en trompe-l'oeil des Têtes Raides

Le festival a affiché sa volonté de diversité en accueillant La Trinité, magiciens de la danse.
PRINTEMPS DE BOURGES, La Trinité, Mungal Patasar, JJ72, Tahiti 80, Stephen Malkmus, Têtes Raides, mercredi 18 avril 2001, Bourges. Jusqu'au 22 avril.
Programme et renseignements au 02-48-24-30-50 ou www.printemps-bourges.com

BOURGES de notre envoyé spécial

Après sa première soirée rock et chanson, mardi 17 avril, le Printemps de Bourges commence à s'évader vers des territoires plus audacieux et à afficher plus nettement son souci de diversité artistique. A la musique s'ajoutait, mercredi 18 avril, la danse, avant l'ouverture, jeudi, des premières installations de plasticiens. Il fallait donc être au Théâtre Jacques-Coeur, petite salle à l'italienne et ouvrir grands les yeux devant La Trinité, qui présentait Auri Sacra Fames, variations sur le thème du jeu, inspirées par Le Joueur de Dostoïevski mais surtout par les habitudes et obsessions de ceux qui, jusqu'au bout de la nuit, sont pris par la passion des cartes, des dés, de la roulette.

Mohamed Benaouisse, Helmut Van den Meersschaut et Noël Van Kelst, installés à Amsterdam, marqués par leur rencontre avec Alain Platel, sont d'abord irrésistiblement drôles. Leur regard sur ces joueurs ne juge pas. Ils donnent au geste le plus banal - enfiler une veste, l'ôter, nouer une cravate, se servir un verre... - la magie de la danse. Le tri des cartes, le lancer de dés est poussé à l'exagération, vers la convulsion. Lorsque le trio se fonde en un ensemble, c'est parfaitement réglé, souple, élastique. Quand l'un s'échappe, on sent qu'il a place nette pour improviser, relancer la partie. Une seule représentation, c'est trop peu.

Plus tôt dans la journée, à L'Escale, un peu en retrait du site principal, Mungal Patasar a fait découvrir le chutney aux festivaliers. Comme le condiment du même nom, il s'agit d'un mélange. Joueur de sitar, Mungal Patasar est né, de parents indiens, à Trinidad en 1946. Aux règles complexes des ragas fondées sur la modulation, il ajoute la mélodie rythmée du steel pancaribéen, cet instrument conçu à partir d'un fût de pétrole. Avec l'apport du reggae jamaïcain - basse électrique et percussions aux machines -, Patasar complète les sources de sa musique. La multiplicité pourrait relever du collage, mais Patasar sait l'art du dosage. Au plus juste, pour conserver à chaque univers son identité.

SABOTAGE A L'IGLOO

Doser, c'est ce que l'on aurait souhaité de la part des sonorisateurs de l'Igloo. Même si un chapiteau ne se dompte pas aisément, on frôlait là le sabotage musical dont ont pâti JJ72, Tahiti 80 ou Stephen Malkmus. Les basses saturées et vrombissantes atteignent l'estomac au point de provoquer un écoeurement. Les voix peinent à sortir. Certes JJ72, trio irlandais, a fait le choix du rock basique. Certes, le chanteur du groupe pop français Tahiti 80 n'a qu'un registre limité - et pour reprendre vingt fois de suite "She Loves me, She Loves me", on ne lui demandera pas d'avoir la voix d'un ténor d'opéra. Mais les compositions soignées, rayonnantes, de l'Américain Stephen Malkmus, ancien leader de Pavement, méritaient mieux. Les consoles de mixage sont garnies de petits boutons et de diodes lumineuses. Sauf erreur de montage en usine, certains d'entre eux n'ont qu'une fonction. Baisser le son.

Au Pavillon, à quelques mètres de l'Igloo, la soirée consacrée à la "nouvelle" scène de la chanson française a permis de constater que les Têtes Raides s'éloignent aisément de l'image un peu sombre et sérieuse de leurs débuts. Accordéon, guitare acoustique, hélicon - de la famille des tubas - saxophones et claviers ont des envies guillerettes. Christian Olivier, le chanteur, découpe clairement les mots, que ce soit pour nous présenter un sympathique bestiaire ou pour constater froidement qu'"un enfant qui nous vient c'est une mort à venir". De drôles d'instruments font penser à des ambiances de fêtes foraines, une mini-fanfare vient de temps à autre densifier la troupe originaire de la banlieue parisienne.

A mi-chemin entre la chanson réaliste et un imaginaire de cinéma en noir et blanc, les Têtes Raides aiment les décalages formels, les mélodies en trompe l'oeil, les surprises. A l'entrée de la salle, sur un présentoir, des livres illustrés aux tons pastel transcrivent toute la singularité du groupe.

Sylvain Siclier

Programme et renseignements au 02-48-24-30-50 ou www.printemps-bourges.com

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Longueur d'Ondes (2001)

LES TETES RAIDES
"CHRISTIAN DETEXTE OLIVIER"

"Gratte Poil" sous le bras, les Têtes Raides sont sur la route pour quelques cent représentations. Au-delà de la mise en musique acoustique, leur univers singulier passe par les textes de Christian Olivier. Décomposition.

"Je n'écris pas facilement, pas tant que ça, c'est par période. Par contre je peux rester assez longtemps sur une même phrase. Je peux la réécrire une cinquantaine de fois pour être sûr qu'elle traduit ce que je veux dire, que le contenu ait du poids et de la matière".

Il y a des mots très connotés qui sont récurrents dans les textes, pratiques-tu l'écriture automatique, as-tu recours à des gimmicks ?

"Non, l'écriture des textes, c'est une somme de petites choses inconscientes qui par la suite sont retravaillées. J'aime bien jeter des choses sur papier sans savoir ce que ça peut raconter au départ, sachant que ça raconte forcément toujours quelque chose qu'il faut ensuite aller chercher. J'aime bien aussi, de temps en temps, triturer les mots, mais c'est quelque chose qui me vient en écrivant, je n'y pense pas avant".

Peux-tu nous dire quelles images tu rattaches au mot "nuit" très présent dans les chansons ?

"J'allais dire "jour", car pour moi c'est un peu la même notion de commencement qui est attribué au "jour". Quand je démarre un texte c'est plutôt le soir, puis je retravaille en journée. Pour moi la nuit c'est le démarrage, une espèce de vision où tout à coup, il y a un rétrécissement et en même temps un élargissement. C'est l'ouverture au rêve, au règlement de compte, à plein de choses qui ne sont pas possibles la journée".

Dans "Je chante", tu écris "Les nuits balaieront les erreurs entassées" et "Les zéboueurs zéboueront". Tu as aussi chanté "Le petit balayeur", "Les papiers".

"Déjà pour moi, c'est un petit bout de vie, puisque je l'ai fait pendant un an et que j'ai beaucoup aimé. Quand tu démarres le matin à 5 heures, c'est calme, il n'y a personne dans les rues si ce n'est les couche-tard qui rentrent et les lève-tôt qui sortent. Il y a une ambiance superbe, une lumière magique et tu entends tous les bruits de la ville".

Tu as grandi en Afrique, si on ne le sait pas, rien, en tout cas, chez Les Têtes Raides, dont les chansons évoquent très souvent une ambiance urbaine, ne le laisse transparaître. Que rattaches-tu à l'omniprésente Paris ?

"La lutte. Ailleurs aussi c'est une lutte, partout... Mais Paris est pour moi spéciale. Les premières années où j'y ai habité ont été intenses, je n'avais jamais vécu pareille chose auparavant et ça prenait pour moi une forme de combat. Et puis d'autres choses me révoltaient comme la destruction des vieux quartiers, la fermeture des vieux entrepôts de Bercy, devenus Bercy II, où je traînais beaucoup à l'époque. Le fait même de vivre à Paris était un combat. La politique d'alors c'était "tout le monde en banlieue". Je défendais l'idée que des gens comme nous puissent vivre à Paris, que la ville ne soit pas réservée à une certaine classe sociale. Ensuite, si Paris est récurrente dans les textes, c'est parce que c'est mon lieu de vie et d'écriture. Physiquement tu ne peux pas y échapper. Si j'habitais Marseille, je ferais peut-être des chansons sur La Canebière. Cela m'est arrivé d'écrire ailleurs. A chaque fois il se retrouve un morceau de l'endroit dans le texte, c'est obligatoire, même si tu parles de tout autre chose. Le lieu où tu écris, sans parler d'une ville, ce peut être une pièce par exemple, est quasi sacré".

Dans beaucoup de morceaux tu mets en scène les animaux.

"Le monde animal, c'est l'imaginaire. C'est notre histoire aussi, chose qu'on a tendance à oublier dans nos villes dites civilisées. Le progrès pour les oiseaux n'est pas une chose forcément excitante. Quand tout à coup tu as une autoroute qui passe au milieu d'un champ, c'est une plaie au milieu de la terre. Les maisons qui se retrouvent subitement collées à l'autoroute, c'est tragique. Mais au-delà de ces évocations, il y a un travail sur l'imaginaire qui est, à partir d'un animal, de raconter des histoires fantastiques".

Comme "Le théâtre des poissons".

"C'est une invitation au voyage. Une histoire de marins, un bateau qui coule et la vie des marins qui continuent en bas. "Le théâtre des poissons" épouse l'idée de coller deux images, qui n'ont rien à voir ensemble, à côté l'une de l'autre, pour raconter une toute autre histoire. C'est devenu pour moi un jeu que de mettre les mots dans une situation autre que le laisse envisager leur sens premier".

"Le cabaret des nues" fonctionne également ainsi.

"C'est la même chose, mais je crois que je n'ai pas encore tout compris sur cette chanson. C'est un conte fantastique avec une notion très physique des éléments, entre le chaud et le froid. J'ai très souvent envie de rapprocher les mots de sensations physiques. Le sens vient davantage par ce biais-là. Le mot a une matière, un corps qui dégage quelque chose, qui colle. Ca doit coller, j'aime pas trop les bavardages".

Sur "Gratte Poil", il y a deux textes, "Je chante" et "Les poupées" qui semblent plus personnel qu'à l'accoutumée.

"Peut-être, même si je ne m'en rends pas bien compte. Peut-être parce que pour moi, ça raconte un certain nombre de choses, qui fait que je ne les trouve pas forcément très personnelles. C'est vrai que l'utilisation de certains mots donnent cette impression. Il y a "Je chante" (NDLR : rarement les textes de Christian pour les Têtes Raides sont à la première personne), dans "Les poupées" il y a "Je t'aime". Il faut y aller pour dire "Je t'aime". C'est personnel, mais en même temps, il y a un détachement. C'est un personnage qui se ballade, mais au lieu d'être "Ginette" ou "Gino" (NDLR : titres de chansons des Têtes Raides), c'est "je".

Est-ce un choix inconscient ?

"Non. Ecrire "A partir de maintenant... je chante", ça ne peut pas être inconscient, ce n'est pas possible avec tout ce que cela implique... Au départ j'ai écrit cette phrase par goût et avant que je puisse la chanter, il s'est passé un petit moment. Le temps de comprendre ce qu'il se passait dans ma tête...".

Est-ce que le reste de la troupe se retrouve dans les textes ?

"C'est difficile à dire. S'il y a une connivence entre nous, ils ne vivent pas l'écriture. Ils ont donc obligatoirement eux aussi une interprétation de l'histoire, une lecture comme chacun peut avoir la sienne. Ensuite, ils interviennent énormément sur sa portée puisque la musique chez les Têtes Raides est tout aussi importante que le texte. Je dirais qu'ils prennent le texte, comme un prêt... comme lorsque les morceaux sont joués en public. A un moment donné, c'est quelque chose de partagé, chacun y prend des petits bouts".

Depuis le début de l'année, les Têtes Raides sont sur scène pour une longue tournée. Elle fait suite au spectacle "Non" donné durant plusieurs semaines au Lavoir à Paris. Si "Non" n'a pu tourner, c'est qu'il revêtait un format peu adaptable à tout lieux : joué sans amplification, un comédien sur scène, des projections de films d'animation, des lectures et de la musique. D'ailleurs certains des titres, créés pour l'occasion, illustrent "Gratte Poil". C'est le cas du gimmick "Bibliothèque" qui introduisait les dites lectures, de "Les poupées", "Les choses", "Chapeau" ou "Dans la gueule".

Chez les Têtes Raides, rien n'arrive au hasard, chaque nouvelle pièce s'inscrit dans un parcours. En novembre en même temps que "Gratte Poil", sur lequel on entend des choeurs d'enfants, paraissait en maxi-maxi format, "Au boulot", un livre d'illustration... pour enfants, signé des Chats Pelés (Edition Seuil Jeunesse). Le principe en est simple : inventer un travail (le balayeur d'ombre, l'insulteur public, la fileuse de mauvais coton, le décrotteur de nez, etc.) et l'associer à un animal... Auteur des magnifiques pochettes et livrets des albums des Têtes Raides, la production des Chats Pelés, collectif qui comprend Christian, ne se limite pas à cette vitrine discographique. L'étendue de leur travail (animation de spectacle, déco, affiches, etc.) pourrait bien à son tour avoir l'honneur d'une parution papier. Le temps de trouver un fil conducteur, une histoire qui pourrait articuler ce grand ensemble de matières.

Niveau news, les Têtes Raides seront audibles au printemps sur l'album de Yann Tiersen "L'absente", puisqu'après la Black Session - France Inter qui le mettait à l'honneur et sa participation à "Gratte Poil", "il nous a invité à venir pourrir son disque sur trois titres". Loin d'être une simple politesse, cette nouvelle collaboration mettra en avant la charte lancée par le groupe, qui réunira différents artistes, sous le dogme "Les Troubadours du 3ème Millénaire". Nous y reviendrons en temps venu.

Bruno Aubin

"Gratte Poil" - Tôt ou Tard

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